De la littérature souterraine : l'Enfer de Dante (2)


Nous étions descendus à la suite de Dante et du poète Virgile au fond du 9ème cercle de l'Enfer, où Lucifer dévore ses proies, au centre de la Terre.
La traductrice, Jaqueline Risset, analyse de façon moderne ce voyage aux Enfers : le danger de la traversée de l’enfer est un danger intérieur : plus que les embûches du lieu, plus que l’hostilité des diables, ce qui fait le vrai danger est l’attraction du mal lui-même et de sa contemplation. Virgile rappelle à l’ordre son disciple fasciné par le spectacle de la souffrance. Un lien étrange et malsain se crée ainsi entre la victime et son bourreau.


La remontée par l'entre jamb du démon

Stradano inferno canto
Stradano inferno canto
Mais il est tant pour Dante de quitter l'Enfer pour rejoindre le Purgatoire.  Ainsi c'est en escaladant le diable lui-même que Dante parvient à se hisser hors de l'Enfer, sur les pas de Virgile:

Mais la nuit revient ; et à présent
il faut partir car nous avons tout vu."
Comme il le voulut, j'embrassai son col;
il saisit le moment et le lieu opportun,
et lorsque les ailes furent grandes ouvertes,
il prit appui sur les côtes velues :
puis de touffe en touffe il descendit
entre le poil dru et les croûtes glacées.
Quand nous arrivâmes au point où la cuisse
s'emboîte au saillant de la hanche,
mon guide, avec fatigue, avec angoisse,
porta sa tête où se trouvaient les jambes,
et s'aggrippa au poil pour monter.
si bien que je croyais retourner en Enfer.
"Accroche-toi bien", me dit mon maître en haletant
comme un homme harassé, " c'est par de telles échelles
qu'il nous faut quitter le lieu de tant de mal."
Puis il sortit par le trou d'un rocher
et me posa assis sur le rebord, me rejoignant ensuite à pas prudents.
Je levai les yeux, et je croyais voir
Lucifer comme je l'avais laissé ;
mais je vis ses jambes tenir en l'air.
Et si alors je fus troublé,
les gens grossiers le penseront, qui ne voient pas
quel est le point que que j'avais dépassé.
"Lève-toi", me dit mon maître, "debout:
la voie est longue, et le chemin mauvais,
et déjà le soleil atteint la demi-tierce;"
Ce n'était pas la salle d'un palais
où nous étions, mais une grotte naturelle,
au sol rugueux et sans lumière.



La poésie rejoint la science

Adolphe Bouguereau (1825-1905)
Adolphe Bouguereau (1825-1905)
Pour remonter à la surface du globe, Dante et le poète Virgile traversent le centre du Globe et ressortent aux Antipodes :

"Avant que je m'éloigne de  l'abîme,
mon maître", dis-je quand je fus debout,
"dis-moi quelques mots pour me tirer d'erreur:
où est la glace? et celui-ci, comment tient-il,
planté à l'envers? comment, en si peu d'heures,
le soleil est-il passé du soir au matin?"
Et lui: "tu imagines encore
être en deçà du centre, là où je me pris
au poil de l'affreux ver qui perce le monde.
Tu y étais, tant que je descendis:
quand je me retournai, tu dépassas ce point
où de tous côtés tendent les corps pesants,
et maitenant tu es sous l'hémisphère
opposé à celui que couvre le grand sec,
sous le sommet duquel fut mis à mort
l'homme qui naquit et vécut sans péché:
tu as le pied sur une petite sphère
qui est de l'autre côté de la Giudecca.
Il fait jour ici quand c'est le soir là-bas,
et celui qui nous fit échelle de ses poils
est encore planté comme il était avant.
C'est de ce côté qu'il tomba du ciel:
et la terre qui jadis s'étendait par ici,
effrayée par lui se cacha sous la mer,
et s'en vit dans notre hémisphère ;
c'est pour le fuir peut-être qu'elle laissa ce vide,
celle qu'on voit là-haut, où elle émergea."


Voilà la dérive des continents ou le réchauffement climatique expliqué par Dante au XIVème siècle...
Au fait, vous ne remarquez rien? Dante vous parle de la gravitation, Newton n'était pas pourtant pas encore né ( 17ème). Il s'appuit probablement sur les lois de Kepler qui envisage une force magnétique provenant du soleil...
Dante sait déjà aussi que la  terre est ronde : il a lu Ptolémée, et n'a pas attendu Christophe Colombe et Galilée...
Ce passage par le Centre de la Terre pour déboucher de l'autre côté a sûrement inspiré Jules Verne pour son voyage au Centre de la Terre...

Firenze, Duomo
Firenze, Duomo
Mais achevons ce poème épique qui clôt la traversée de l'Enfer:


Il est un lieu là-bas, loin de Belzebuth,
aussi long que s'étende cette grotte,
qu'on reconnaît non par la vue mais par le son
d'un petit ruisseau qui descend par là
par le trou d'un rocher, qu'il a rongé
dans son cours qu'il déroule, en pente douce.
Mon guide et moi par ce chemin caché
nous entrâmes, pour revenir au monde clair ;
et sans nous soucier de prendre aucun repos,
nous montâmes, lui premier, moi second,
tant qu'enfin je vis les belles choses
que le ciel porte, par un pertuis rond ;
et par là nous sortîmes, à revoir les étoiles.


Ainsi se termine le Chant XXXIV de la Divine Comédie.
Voyage initiatique personnel, mais aussi allégorie de la destinée humaine, ce texte nous replonge dans nos propres peurs et croyances, mais apaise l'esprit par son pouvoir cathartique : au bout de l'expérience terrifiante et du tunnel infernal, nous retrouvons la lumière des étoiles.

Merci aux éditions Flammarion et à Jacqueline Risset.

 
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Lady Trog


Rédigé par Renée Frank le Jeudi 9 Mai 2013 à 07:14 | Lu 746 fois