De la littérature souterraine : Underground, de Haruki Murakami (3)

Le métro de Tokyo


Haruki Murakami nous propose dans UNDERGROUND aux éditions 10/18 la suite du témoignage de Masaru Yuasa, victime de l’attentat au sarin, perpétré le 20 mars 1995, un attentat terroriste de la secte japonaise Aum Shinrikyo, qui a fait douze morts et des milliers de blessés dans le métro de Tokyo. Le nombre de décés reste limité grâce à l'impureté du gaz.


L’attaque terroriste

Je revenais au bureau après avoir transmis les consignes à mon remplaçant quand l’agent en chef, Matsumoto, est sorti avec une serpillère. « C’est pour quoi ? » ai-je demandé. Il a répondu que c’était pour nettoyer une voiture. Je n’avais rien de spécial à faire à cette heure, aussi lui ai-je proposé mon aide et l’ai-je suivi dans l’escalier mécanique qui mène au quai.
Là, Toyoda, Takahashi et Hishinuma s’affairaient autour d’un tas de feuilles de papier journal mouillées. Ils les prenaient à mains nues pour les mettre dans des sacs en plastique, mais du liquide gouttait sur le quai. Matsumoto a épongé le liquide. Je n’avais pas de serpillère et presque tous les journaux étaient déjà dans des sacs. Je n’ai donc pas été d’un grand secours. Je suis resté sur le côté à regarder, tout en remarquant qu’il flottait une forte odeur.
Puis Takahashi est parti vers une boîte à ordures, à l’autre bout du quai, sans doute afin de trouver davantage de journaux pour faire disparaître les traces qui restaient. Mais, d’un coup, il s’est effondré à genoux. […]
Takahashi avait une mine horrible. Il n’arrivait pas à parler. On l’a allongé sur le côté, on a dénoué sa cravate. Il avait l’air d’aller très mal.
On  l‘a emporté au bureau sur le brancard et on a appelé une ambulance.[…]
 

L'ambulance qui n'est jamais arrivée

Sur le chemin, je suis tombé sur un agent de la ligne Hibiya qui m’a dit qu’il y avait eu une explosion à la station Tsukiji. Il n’en savait pas plus.
On avait trouvé un colis suspect dans notre station ce même mois, le 15. En attendant l’ambulance, je me suis dit : «  Ca va être une drôle de journée. »
J’ai attendu, et attendu ; mais toujours pas d’ambulance. D’autres agents sont sortis pour voir où j’en étais. […]
Un van de TV Tokyo s’est arrêté près de moi. Ils posaient plein de questions, comme : « qu’est-ce qui se passe en bas ? » mais je n’étais pas d’humeur à être interviewé. Pas alors que nous attendions une ambulance qui ne semblait jamais arriver.
Soudain, je me suis rendu compte que l’équipe de télé disposait d’un grand van, et je les ai interpellés :
« Vous avez un véhicule, il faut que vous emportiez Takahashi. » […] Aucun de ces journalistes ne m’a dit tout de suite : « Oh ! je comprends. » Personne n’a rien fait spontanément et la discussion a pris un moment. Toutefois, dès que ç’a été réglé, ils ont abaissé le siège arrière, et on a allongé Takahashi dessus avec un autre agent de la station (M. Ohori) qui était lui aussi très mal en point. Il n’avait pas quitté Takahashi et s’était mis à vomir quand il était arrivé dehors. Un troisième agent (M. Sawaguchi) les a accompagnés.
« Vous savez à quel hôpital on doit aller ? » a demandé le chauffeur ? […]
J’ai appris la mort de Takahashi – en lisant la bande passante au bas de l’écran  [de la télévision NHK]. « Ah, me suis-je dit, il n’a pas survécu. On est arrivés trop tard… » Je ne saurais vous dire à quel point cela m’a rendu triste.
Quant à mon état physique…eh bien, j’avais les pupilles contractées et tout me paraissait sombre. Je toussais un peu, aussi. Rien de très grave. On m’a mis sous perfusion juste par mesure de précaution. Je m’en suis bien sorti, probablement parce que j’étais monté très vite à l’air libre. […]
Pour être honnête, mes souvenirs e l’attaque au gaz jaillissent à l’improviste et de façon inégale : il y a des détails dont je me souviens assez bien – mon énervement, Takahashi qui s’effondre, le transport jusqu’à l’hôpital – mais le reste est très flou. […]
L’attaque au gaz ne m’a pas affecté au point de me dire : « Je ne peux pas le supporter. Il faut que je change de travail.» Pas du tout. Comme je n’ai jamais eu d’autre emploi, je ne peux pas comparer avec un autre, mais en tout cas, j’aime vraiment beaucoup être ici.
 

Haruki Murakami a réalisé un remarquable travail d’enquêteur, tout en respectant la parole des survivants de l’attentat. Les témoignages montrent une inconscience  et une impuissance terribles des agents du métro qui n’étaient pas du tout préparés à ce risque et on dû faire face à une menace invisible, cela avec un sens du devoir qui a mené certains à la mort.
Dans le prochain article, nous vous proposerons l’interview d’un passager rescapé de cet enfer souterrain.
 
Lady Trog

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Rédigé par Patrick Edgard Rosa le Jeudi 8 Mai 2014 à 10:00 | Lu 208 fois