De la littérature souterraine : Daniel Defoë, ou l'habitat refuge de Robinson Crusoe


Les aventures de Robinson Crusoé ont bercé notre enfance et nos rêves d’île déserte. En fouillant dans le grenier de la maison de vacances en Bretagne, je suis tombée sur un vieil ouvrage imprimé en 1947, aux éditions Ernest Flammarion, illustré par Pierre Nory. Je le feuillette à tout hasard, avec le vague souvenir d’une grotte qui aurait abrité les vivres de Robinson. Bingo ! Notre héros solitaire était un ilien semi-troglodyte qui s’ignorait…
En ce moment, les troglonautes s’intéressent justement aux habitats refuge… Extraits :


Robinson choisit son terrain, une enfonçure dans la roche à flan de coteau

De la littérature souterraine : Daniel Defoë, ou l'habitat refuge de Robinson Crusoe
Chapitre V : Robinson s’installe et songe à se préparer une demeure:
« Je ne songeais  bientôt plus qu’à me mettre en sûreté contre les sauvages qui pourraient venir ou les bêtes féroces, à supposer qu’il y en eût dans l’île. Il me passait dans l’esprit toutes sortes d’idées différentes sur l’espèce d’habitation que je construirais. Je ne savais ni si je me creuserais une cave, ni si je me dresserais une tente et en fin de compte, je résolus d’avoir l’une et l’autre. Le terrain que je choisirais devait répondre à plusieurs conditions : la première était de renfermer de l’eau potable ; la seconde de m’abriter des ardeurs du soleil ; la troisième de me garantir contre les attaques soit des hommes, soit des bêtes ; la quatrième d’avoir vue sur la mer afin que si quelque vaisseau venait à passer à ma portée je pus tout mettre en œuvre pour favoriser ma délivrance.
Je trouvai tout cela dans une petite plaine située au pied d’une colline élevée dont le front était raide et sans talus, de telle sorte que rien ne pouvait venir sur moi du haut en bas. La façade de ce rocher présentait un endroit creux qui s’enfonçait un peu, assez semblable à l’entrée d’une cave, mais il n’y avait aucune caverne ni aucun chemin qui allât dans le rocher.
C’est sur l’esplanade, exactement en face de cette enfonçure, que je résolus de planter le piquet. La plaine n’avait pas plus de cent verges de largeur ; elle s’étendait environ une fois plus en longueur et formait devant mon habitation une espèce de tapis vert qui se terminait en descendant irrégulièrement de tous côtés vers la mer.

Robinson construit son habitat refuge et protège ses munitions de l’humidité

De la littérature souterraine : Daniel Defoë, ou l'habitat refuge de Robinson Crusoe
Avant de dresser une tente, je traçai devant l’enfonçure un demi-cercle qui mesurait environ vingt verges. Dans ce demi-cercle, je plantai deux rangs de fortes palissades que j’enfonçai jusqu’à ce qu’elles fussent fermes comme des piliers, le gros bout dépassant la terre de cinq pieds et demi et pointu par le haut. […]. Je fis, pour entrer dans la place, non une porte, mais une petite échelle avec laquelle je passais par-dessus mes fortifications.[…].
C’est dans ce retranchement, ou si vous voulez, dans cette forteresse, que je transportai mes provisions, mes munitions, en un mot toutes les richesses dont j’ai donné un compte détaillé et fidèle (ndlc : il s’agit des provisions récupérées sur l’épave du vaisseau échoué). J’y établis une grande tente que je fis double, pour me garantir des pluies qui sont excessives dans cette région pendant un certain temps de l’année. […]. Je portai sous cet abri toutes les provisions que la pluie aurait pu endommager. Après quoi, je commençai à creuser bien avant dans le roc, jetant la terre et les pierres que j’en tirais au pied de la palissade. Il en résulta une sorte de terrasse qui éleva le terrain d’environ un pied et demi et c’est ainsi que je me fis une caverne qui était comme le cellier de ma maison situé exactement derrière ma tente.
Je poursuivais ce travail avec ardeur lorsqu’un violent orage se déchaîna. En voyant les éclairs, je songeai tout à coup que toute ma poudre pourrait sauter en un instant. Aussi, je suspendis immédiatement mes fortifications et mes travaux pour m’appliquer uniquement à protéger ma poudre et je me mis à faire des sacs et des boîtes pour la répartir. Ces paquets étant dispersés, l’un ne risquait pas de faire prendre le feu à l’autre et je ne serais pas exposé à perdre toute ma poudre à la fois. Je mis bien quinze jours à finir cet ouvrage et je crois que ma poudre, dont la quantité montait à environ cent quarante livres, ne fut pas divisée en moins de cent paquets que je cachai dans les trous du rocher où je n’avais remarqué aucune trace d’humidité. […]

Robinson s’adonne à des activités typiquement troglodytiques.

De la littérature souterraine : Daniel Defoë, ou l'habitat refuge de Robinson Crusoe
Chapitre VI : Robinson organise sa vie :
« J’ai raconté comment j’avais enfermé tous mes effets dans mon enclos et dans la cave. Mais au début, tout cela n’était qu’un tas confus de meubles et d’outils qui, faute d’être rangés, tenaient tant de place qu’il ne m’en restait pas pour me remuer. C’est pourquoi je me mis à élargir ma caverne et, tout en creusant, je parvins à me faire jour à travers le rocher et à pouvoir sortir par une porte indépendante de ma palissade et de mes fortifications. » 
Robinson se met à fabriquer des meubles en bois, mais  aussi à cuire de la poterie et à confectionner des paniers en osier qu’il entrepose dans sa caverne. Il est bien connu que la température constante des caves est propice au métier de potier et de vannier ! Il construit aussi un four  à pain et devient boulanger après avoir réussi à moissonner son blé.
 
Bien des années plus tard, lorsque Robinson décèle des traces de vie cannibale sur l’île,  il renforce son domaine auquel il donnera le nom pompeux de Château. Robinson vécut ainsi 27 années, 2 mois et 19 jours sur son île déserte, protégé des intempéries et des dangers divers dans son abri  typiquement semi troglodytique. Mais dans quelle sorte de roche pouvait donc être cette caverne pour être creusée aussi facilement? Il renonce à creuser un mortier de pierre car « les rochers de l’île étaient d’une pierre graveleuse qui s’émiettait aisément et serait broyée en même temps que le grain ». - Allo, monsieur le géologue expert de Loire et Coteau ?
Bon, vous rêvez d’un séjour  troglo dans les îles? Nous vous recommandons une petite escapade à Santorin en Grèce ou plus près, en Italie sur l’île de Ventotene … voire aux Antilles pour les plus intrépides...
 
Lady Trog


Rédigé par Renée Frank le Vendredi 11 Janvier 2013 à 07:18 | Lu 4652 fois